Le Vatican rallume le feu de l’enfer
DE NOTRE CORRESPONDANT EN FRANCE
“FERME rappel du Vatican.” “L’enfer revisité.” “L’enfer a-t-il fait long feu?” “Les enseignements de l’Église sur l’au-delà doivent être sauvegardés — Le peuple chrétien désemparé.”
Voilà quelques titres parus l’an dernier dans les revues et les journaux à l’occasion de la publication par la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi d’une lettre sur l’enfer, lettre dûment approuvée par Jean-Paul II.
Cette lettre officielle rappelait à tous les prélats et théologiens catholiques “la nécessité d’une fidélité parfaite aux vérités fondamentales de la foi”. Au nombre de ces articles de foi figuraient la survie de l’“âme” après la mort, “la félicité des justes” et “la peine des damnés” pour toujours dans “l’enfer”.
Dans Le Monde, on relevait le commentaire suivant sur ce document approuvé par la papauté: “À propos de l’enfer, la congrégation romaine rappelle que cette peine est réelle et qu’elle est ‘pour toujours’. Ce dogme est certainement celui qui fait le plus de difficultés à un esprit moderne. (...) C’est le dogme le plus déprimant et le plus improbable qui soit. La congrégation romaine, qui a succédé au Saint-Office, le rappelle brutalement, sans commentaire et sans le moindre souci pédagogique.”
“L’enfer éteint” de ces dernières années
Ce brusque rappel de la ‘réalité de l’enfer’ est apparu d’autant plus surprenant et déconcertant pour les catholiques sincères que, depuis quelques années, le clergé avait mis une sourdine au thème de l’enfer. C’est ce que notait la revue L’Express:
“L’enfer revient à l’ordre du jour, après tant d’années d’un oubli plus ou moins calculé. (...) Le sujet est presque neuf. Voilà trente ans que dans les églises, on ne prêchait plus sur l’enfer. Le ciel et le purgatoire n’avaient pas davantage la cote. La dernière génération de catholiques n’a presque pas été éduquée sur la vie éternelle.”
Le clergé catholique a été balayé par les vents réformistes. Les progrès de la science et de la technologie, la fin de plusieurs siècles de colonialisme, la lutte en faveur des droits de l’homme et l’éducation des masses, tout cela contribua à ce que les sermons des prêtres portent plus sur le siècle que sur l’au-delà, en particulier sur l’enfer.
Dans certains pays catholiques, comme la France, les prêtres et les fidèles éclairés avaient pris l’habitude d’‘éteindre’ l’enfer. Ils se justifiaient en disant que nul ne croit plus que Dieu tourmente éternellement les gens dans un feu littéral. On disait plutôt que les damnés subissent par leur propre faute un tourment perpétuel, du fait qu’ils se privent à jamais de la présence de Dieu.
Cette “extinction” de l’enfer transparaît dans les ouvrages catholiques publiés au cours de ces dernières années. C’est ainsi que l’on relève ce qui suit dans Un dictionnaire catholique (angl.):
“Les théologiens divisent les punitions des damnés en peine du dam et peine du sens. La première ressort de ces paroles de Notre Seigneur: ‘Allez loin de moi, maudits.’ Elle consiste en une privation de la vision de Dieu. (...) La souffrance intense du dam provient essentiellement de la conscience d’être privé de cette félicité.”
Toutefois, en 1968, Paul VI commença à rallumer cet enfer “éteint”. Dans sa “Profession de foi”, il affirma que les pécheurs qui ont refusé jusqu’au bout l’amour de Dieu allaient “au feu qui ne s’éteint pas”. Avec la publication de cette lettre plus récente, qui a reçu l’approbation de Jean-Paul II, les catholiques se voient une nouvelle fois rappeler que l’enfer reste un lieu extrêmement redoutable.
Un épouvantail moyenâgeux ou bien un article de foi?
“Vous qui entrez, laissez toute espérance.” C’est là l’inscription qui figure au-dessus des portes de l’enfer dans la célèbre description de Dante. Son poème sur l’Enfer, qui date du XIVe siècle, représente ce lieu comme une profonde fosse divisée en neuf cercles qui aboutissent au centre de la terre, où siège Satan. À chaque fois que l’on franchit un cercle, les punitions et la souffrance se font plus grandes.
Ce poète italien du Moyen Âge avait représenté un tableau imaginaire d’un dogme de l’Église catholique de son temps, dogme qui, en fait, remontait aux premiers temps de cette Église. Au fil des siècles, d’autres artistes ont illustré les atroces souffrances rattachées à l’enfer. Les scènes de “Jugement dernier” sont légion dans les églises catholiques, et on peut les voir dans les musées du monde entier. Sans doute la plus célèbre est-elle la gigantesque fresque peinte dans la chapelle Sixtine par Michel-Ange et qui aurait, dit-on, frappé de terreur l’un des commanditaires de l’œuvre, le pape Paul III.
Les sculptures effrayantes abondent également sur les frontispices de maintes cathédrales gothiques ou romanes d’Europe. C’est ainsi que les millions de touristes qui visitent Paris éprouvent un frisson au spectacle des scènes terrifiantes de “Jugement dernier” qui figurent sur la sculpture du portail central de Notre-Dame. Ces ouvrages d’art représentent incontestablement d’abominables tortures physiques qui n’ont rien de symbolique.
“Certes, nous répondra un catholique éclairé, mais ces représentations artistiques ne font qu’illustrer le dogme de l’enfer de feu tel qu’on l’enseignait au Moyen Âge pour inciter les ‘âmes simples’ à la piété. Aujourd’hui, tout catholique éclairé sait que ces scènes de ‘Jugement dernier’ évoquent l’angoisse morale du damné qui se voit privé de la présence de Dieu.”
Cet artifice de langage place l’Église catholique dans un dilemme: Si toutes ces œuvres d’art sont des représentations erronées de l’enfer, alors pourquoi la plus célèbre d’entre elles, qui se trouve en plein dans le Vatican, a-t-elle été commanditée par deux mécènes, les papes Clément VII et Paul III? D’un autre côté, si elles illustrent fidèlement un dogme officiel de l’Église, pourquoi alors les prêtres ont-ils pu mettre une sourdine pendant si longtemps à l’enseignement d’une doctrine aussi fondamentale? Tout catholique sincère ne peut manquer de se poser ces questions.
Le “tourment moral” représente-t-il une amélioration?
Une autre question que se posent bien des catholiques sincères porte sur la version d’un enfer “éteint” qui limiterait les souffrances à l’anxiété morale d’être irrémédiablement coupé de Dieu. Un tel dogme est-il compatible avec l’amour de Dieu? C’est le problème qu’aborde Henri Fesquet, dans la chronique religieuse qu’il tient dans Le Monde: “Le Dieu des chrétiens serait-il un tortionnaire? (...) Dieu serait-il sadique et mettrait-il le plaisir d’être obéi au-dessus de la souffrance de ses créatures dévoyées?”
On relève dans les colonnes de L’Express cet intéressant commentaire: “Les chaudrons, c’est fini. Mais l’enfer continue. C’est un état dans lequel l’homme se place par son refus de Dieu. L’enfer, c’est l’isolement. (...) Déjà, dans les prisons terrestres, l’isolement sensoriel est considéré comme la torture des tortures.” “L’enfer des théologiens modernes est aussi redoutable que celui des enlumineurs médiévaux.”
Le dictionnaire catholique précité mentionne un texte de “saint” Augustin qui disait que la peine du dam est “une punition telle, qu’aucun tourment connu ne saurait lui être comparé”.
Est-ce donc une amélioration de l’enfer “de feu et de soufre” traditionnel que de dire que les pécheurs irréductibles seront punis à jamais par une angoisse morale éternelle? Nombre de catholiques sincères conviendront sans se faire prier qu’il est moralement aussi sadique de torturer quelqu’un psychiquement que physiquement. Les deux formes de châtiment sont aussi incompatibles l’une que l’autre avec le concept d’un Dieu de justice et d’amour, tel qu’il apparaît dans les Écritures.
L’article de L’Express déjà cité soulevait la question suivante: “‘Comment un Dieu bon peut-il maintenir des créatures dans une souffrance éternelle?’ Problème fondamental. Réponse des théologiens: paradoxalement, l’enfer est une conséquence ultime de l’amour de Dieu pour la liberté de l’homme.” Cela vous paraît-il logique?
Et la Bible, que dit-elle?
Fait intéressant, dans son article “L’enfer a-t-il fait long feu?” paru dans Le Monde après que le Vatican eut réaffirmé le dogme de l’enfer, H. Fesquet déclara: “Pour arriver à croire que l’enfer existe et n’est pas vide, il faut vaincre bien des obstacles, à commencer évidemment par celui d’une survie personnelle.” Oui, si aucune âme immatérielle ne survit à la mort de l’homme, les doctrines sur “l’au-delà”, telles que les limbes, le purgatoire et l’enfer, ne tiennent plus, faute d’âmes pour les habiter.
Que dit la Bible? Laissons répondre quelques exégètes catholiques:
“On ne trouve nulle part dans l’écriture un exposé didactique de la distinction du corps et de l’âme.” — Dictionnaire de la Bible, publié par F. Vigouroux.
“Le concept d’‘âme’, au sens d’une réalité purement spirituelle ou immatérielle, distincte du ‘corps’, pouvant avoir une identité propre et un destin indépendant du corps ‘matériel’ n’existe pas dans la Bible.” — Georges Auzou, professeur d’Écriture Sainte au Grand Séminaire de Rouen.
La Bible déclare sans ambages: “L’âme qui pêche, c’est elle qui mourra.” (Ézéch. 18:4, 20, Bible du cardinal Liénart). Non seulement ce texte montre que l’âme n’est pas immortelle par essence, mais il prouve aussi que la punition du péché impardonnable n’est pas le tourment (pas plus au sens physique que moral), mais la mort. La Bible ajoute plus loin: “Le solde du péché, c’est la mort, tandis que le don gracieux de Dieu, c’est la vie éternelle.” (Rom. 6:23, Liénart). La vie éternelle ou la mort éternelle, tel est le choix que Dieu place devant ses créatures. — Jean 3:16, 36; Deut. 30:19, 20.
Les mots hébreu et grecs traduits à tort dans certaines versions de la Bible par “enfer” ont respectivement les sens de ‘tombe commune aux morts’ (Schéol, en hébreu; hadês, en grec), état duquel les hommes peuvent ressusciter, ou bien de ‘destruction éternelle’ (géénna, en grec)a. L’examen attentif de la Bible convaincra toute personne sincère que le “feu éternel” préparé pour le Diable, ses anges et les pécheurs (Mat. 25:41, 46) est un symbole, celui de la destruction, de la “seconde mort” dont il n’y aura pas de résurrection. — Voir Apocalypse ou Révélation 20:9, 10; 21:8.
“Dieu est amour.” (I Jean 4:8). Le dogme des tourments éternels dans l’enfer donne une image complètement déformée du Dieu de justice et d’amour qu’adorent les vrais chrétiens. Le mobile qui les incite à pratiquer le vrai culte est l’amour, et non une crainte morbide (I Jean 4:16-19). En ravivant la notion d’enfer, concept qui n’a rien de biblique, le Vatican attire à coup sûr l’opprobre sur Dieu.
[Note]
a Vous trouverez d’autres détails ainsi que des arguments tirés de la Bible dans le livre Tout finit-il avec cette vie?, ouvrage publié par les éditeurs de la présente revue.
[Illustration, page 17]
Scène de Jugement dernier peinte par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.
[Illustration, page 18]
Scène de Jugement dernier sculptée sur la cathédrale de Reims.