L’aluminium : autrefois objet de curiosité, aujourd’hui métal aux mille usages
EN 1821, près de la commune française des Baux, un chimiste ramassa un morceau de minéral rougeâtre et dur. Ce minéral, auquel on donna le nom de bauxite, avait une teneur en alumine de 52 pour cent. L’alumine est un oxyde d’aluminium. Pendant des années cette substance dure résista à tous les efforts tentés pour en effectuer la réduction en métal pur. Ce ne fut qu’en 1827 que l’on réussit à en extraire quelques petites gouttes de métal grâce à un procédé chimique très difficile et coûteux. Il n’est donc pas étonnant que l’aluminium fût un objet de curiosité il y a cent ans, bien qu’il constitue l’élément le plus abondant de l’écorce terrestre.
Des procédés moins coûteux
À l’Exposition de Paris de 1855, on exposa le premier lingot de ce métal blanc qui a l’éclat de l’argent. C’est alors que l’aluminium sortit du domaine des recherches métallurgiques pour devenir un métal utile connu du public. Cependant, son prix était exorbitant. À près de 6 600 francs français le kilo, l’aluminium était un métal précieux. À la cour de Napoléon III, il avait plus de valeur que l’or. Malgré sa joie de posséder des objets faits d’un métal aussi coûteux, cet empereur, homme à l’esprit pratique, envisagea l’utilisation de l’aluminium dans la fabrication d’un équipement léger pour ses soldats. Aussi subventionna-t-il les recherches effectuées par un chimiste français pour trouver un moyen de produire de grandes quantités d’aluminium à un prix modique.
Grâce à ces travaux, on parvint à réduire le coût de production à un peu plus de 200 francs le kilo, prix trop élevé toutefois pour que le procédé soit rentable du point de vue commercial. Plus tard, un chimiste américain mit au point une technique moitié moins chère, mais le prix était encore trop élevé, c’est pourquoi les recherches se poursuivirent.
En 1886, deux jeunes métallurgistes, un Français et un Américain, travaillant chacun de son côté, à l’insu même l’un de l’autre, découvrirent le moyen d’obtenir de l’aluminium pur à partir de l’oxyde. Le coût de la production tomba alors à un peu plus de vingt francs le kilo. Cette découverte ouvrit aussitôt la porte à une exploitation importante des gisements de bauxite. Depuis lors, des améliorations des techniques employées ont fait baisser progressivement le coût de la production, si bien qu’au milieu du vingtième siècle elle n’était que d’un peu plus de deux francs le kilo.
Les matières premières
Bien que la bauxite soit la principale matière première utilisée dans la production de l’aluminium, d’autres éléments sont également nécessaires. Voyons toutefois pour commencer comment on obtient l’alumine pure à partir de la bauxite. Dans les mines à ciel ouvert, de gigantesques pelles mécaniques enlèvent le minerai des gisements millénaires. Il faut deux tonnes de bauxite pour obtenir une tonne d’alumine.
La bauxite subit donc une opération intermédiaire avant de devenir de l’aluminium. Elle est soumise à l’action d’une lessive chaude de soude concentrée. Il se forme alors de l’aluminate de soude soluble et des résidus insolubles (silice, oxyde de fer, etc.) appelés boues rouges. Le liquide filtré passe dans des décanteurs où l’alumine hydratée se cristallise. Elle est ensuite calcinée dans d’énormes fours tournants chauffés à 1 100 degrés. L’alumine blanche et poudreuse qui sort de ces fours est exempte d’eau. Elle est acheminée au moyen de bandes transporteuses vers des cuves d’électrolyse.
L’alumine est d’abord dissoute dans une autre matière première : la cryolithe fondue. Ce minéral d’un blanc légèrement bleuté et dont la poudre est pour ainsi dire invisible dans l’eau, s’extrait du sol du Groenland. Les Esquimaux l’appellent “la neige qui ne fond pas en été”. Il est également produit synthétiquement en Allemagne. La cryolithe constitue la clé de la production de l’aluminium à partir des vastes gisements de bauxite que renferme l’écorce terrestre. Les deux métallurgistes dont nous avons parlé plus haut ont constaté que l’oxyde d’alumine se dissout dans la cryolithe fondue. Ils ont découvert aussi que lorsqu’on fait passer un puissant courant électrique par ce mélange en fusion, on obtient de l’aluminium et de l’oxygène. Le métal pur se dépose alors sur le fond de la cuve. C’est grâce à cette découverte que les cuves à électrolyse pour la production d’aluminium ont vu le jour.
Pour que la production se fasse sur une grande échelle il faut de nombreuses cuves. Certaines cuves des fours de la Société canadienne d’aluminium sont faites d’acier d’une épaisseur de deux centimètres et demi, et mesurent environ deux mètres de long, quatre mètres de large et plus d’un mètre de profondeur. Elles sont garnies intérieurement de blocs de carbone précuits qui servent de cathode. L’anode est formée par un mélange de coke de pétrole et de brai. Ce mélange, introduit dans un coffrage d’acier ou d’aluminium, est suspendu au-dessus de la cuve dans laquelle il descend progressivement grâce à un mécanisme automatique. Cette anode dite continue est cuite et consumée, pendant la descente, par la chaleur du four. Les matières qui la composent s’épuisent au rythme de cinq cents kilos par tonne de métal produit.
La fluorine de Terre-Neuve ainsi que d’autres éléments de diverses régions du globe entrent également dans la fabrication de l’aluminium. Il faut en tout sept tonnes de matières premières pour produire une tonne d’aluminium. Une production continue exige aussi un système de transports bien organisé afin que toutes ces matières soient disponibles au moment et à l’endroit voulus. Toutes les vingt-quatre heures, les fours de la vallée du Saguenay, au Québec, utilisent assez de matières premières pour remplir 250 wagons de marchandises.
Le rôle de l’électricité
N’oublions pas que la bauxite est extraite très souvent de gisements situés dans des régions basses, tropicales ou semi-tropicales. Par conséquent, la matière première la plus importante — une abondance d’énergie électrique bon marché — se trouve rarement près du gisement. Il est donc nécessaire de transporter la bauxite à l’endroit où on produit l’électricité. C’est pour cette raison que le Canada, qui dispose de nombreuses centrales hydroélectriques, possède certains des plus grands établissements du monde pour la fabrication de l’aluminium.
Si vous laissiez allumée pendant deux semaines une ampoule électrique de 25 watts, le courant ainsi employé suffirait pour produire un demi-kilo d’aluminium. Un foyer moyen mettrait quatre ans pour consommer l’électricité nécessaire pour la fabrication d’une tonne de métal à partir de la quantité appropriée d’alumine. Il y a quelques années, l’industrie de l’aluminium sur le continent américain utilisa en moins d’un an plus d’électricité qu’une ville d’un demi-million de foyers n’en utilise en dix ans. Depuis lors, étant donné l’extension constante de cette industrie, la consommation d’énergie électrique a augmenté de près de cinquante pour cent. Le rôle de l’électricité est donc capital.
La fabrication
Les lingots luisants qui sortent des fours sont le point de départ des multiples applications de l’aluminium. Au moyen de divers procédés, ces lingots sont transformés en objets d’une grande utilité. Ils passent tout d’abord par des fours de refusion où l’on incorpore à l’aluminium d’autres métaux, afin de former des alliages qui varient suivant l’usage auquel ils sont destinés : lingots à entailles pour le moulage, billettes pour le filage, lingots rectangulaires pour le laminage et le forgeage. Les fondeurs eux-mêmes produisent les tiges dont l’étirage donne le fil d’aluminium. Comme on le voit, dès sa transformation en lingots, ce métal se prête à de nombreux usages.
À mesure que les années passent, son utilité ne cesse de croître. L’industrie de l’aluminium encourage l’extension des usages actuels et la recherche de nouvelles applications. Les études se poursuivent inlassablement en vue de trouver de nouveaux domaines où la légèreté, la malléabilité et la solidité de l’aluminium pourront être mises à profit. La solidité de ce métal est obtenue grâce aux divers alliages. D’innombrables expériences ont permis de produire plusieurs centaines d’alliages dotés de caractéristiques différentes.
On peut juger de la solidité de ces alliages lorsqu’on sait que la charge de rupture d’un lingot d’aluminium de deux centimètres et demi d’épaisseur est d’un peu plus de sept tonnes, tandis qu’un lingot analogue fait de certains alliages couramment employés de nos jours, peut être soumis à une charge de quarante tonnes sans se briser. De tels alliages sont même plus solides que certains aciers. Ils multiplient les usages de l’aluminium, car non seulement ils sont solides, mais ils conservent la légèreté et la malléabilité de ce métal ainsi que sa résistance à la corrosion.
L’aluminium a d’autres avantages encore : il est d’aspect agréable et est bon conducteur de la chaleur et de l’électricité. Voyons donc comment on transforme ce métal utile en certains objets d’usage courant de nos jours.
Objets industriels et domestiques
Visitons d’abord l’immense usine de laminage de Rogerstone, dans le sud du Pays de Galles. D’énormes lingots d’aluminium pesant deux tonnes passent et repassent dans des trains de laminoirs qui s’étendent sur quatre cents mètres. L’épaisseur des feuilles d’aluminium (plates et en rouleaux) qui sortent de ces laminoirs, dépend de l’usage auquel elles sont destinées. Certaines feuilles sont épaisses de soixante millimètres, tandis que d’autres sont si fines qu’il en faut 1 250 pour faire un tas de soixante millimètres de hauteur. Un laminoir de Kingston, dans l’Ontario, produit une feuille continue d’aluminium d’une largeur d’environ un mètre quarante, au rythme de 800 mètres à la minute. Après sa sortie du laminoir, l’aluminium est expédié dans les usines où il est transformé en superstructures de navires ou en revêtements d’avions à réaction intercontinentaux. Sous forme de feuille très mince, vous l’utilisez probablement dans votre cuisine, ou bien il sert d’emballage pour votre chocolat préféré. Mais ce ne sont là que quelques usages de ce métal.
Si vous habitez Londres, vous prenez peut-être le métro tous les jours. Or, ses rames confortables sont faites d’aluminium. Des alliages d’aluminium ont été employés dans la construction du célèbre “ACT-Talgo” des chemins de fer espagnols. En Amérique du Nord aussi, les chemins de fer utilisent de plus en plus ce métal qui n’était autrefois qu’un objet de curiosité. Des wagons-citernes, ainsi que des wagons de réfrigération, de marchandises et à bestiaux, tout en aluminium, forment des trains de 1 500 mètres de long. L’aluminium joue un rôle important dans l’industrie automobile, car il entre dans la fabrication des voitures, des camions, des autocars et des caravanes qui sillonnent les routes du monde entier. La façade de nombreux gratte-ciel des grandes villes a un revêtement ou des panneaux de feuilles brillantes d’un alliage d’aluminium qu’on laisse tel quel ou qu’on recouvre de porcelaine.
Certains organes des gigantesques avions qui sortent aujourd’hui des ateliers de construction, doivent être conçus pour supporter une charge énorme. Ces organes sont forgés par d’immenses presses semblables à celles des établissements Alcoa de Cleveland (États-Unis). Après le forgeage, les pièces sont usinées par d’autres machines. Les grandes presses de filage expriment le métal comme s’il s’agissait d’une pâte dentifrice sortant d’un tube, transformant les billettes en toutes sortes d’objets, depuis les hélices d’avions jusqu’aux poutres de ponts. Il y a quelques années, on utilisa de telles poutres pour construire le premier pont du monde entièrement en aluminium : le pont routier qui enjambe le pittoresque Saguenay, rivière du Québec.
À travers le globe, depuis l’équateur jusqu’aux pôles, on trouve pour ce métal léger des usages de plus en plus nombreux. Le célèbre Washington Monument, aux États-Unis, est couronné de près de trois kilos d’aluminium qui constituent non seulement une belle calotte argentée, mais aussi un paratonnerre protecteur. Dans les caféières du Brésil et les champs de betteraves de l’Alberta, on se sert d’installations portatives en aluminium pour effectuer l’irrigation par aspersion. Plus de onze millions de câbles aériens aluminium-acier traversent nombre de pays pour transporter l’électricité jusqu’aux agglomérations et aux installations industrielles. Des maisons préfabriquées de huit pièces et pourvues de vérandas, faites entièrement de ce métal, ne pèsent qu’un peu plus de mille kilos.
On pourrait allonger la liste des objets en aluminium produits par des milliers d’usines qui fabriquent tous les articles imaginables, depuis les épingles à cheveux jusqu’aux chaises longues, ou les tonneaux à bière jusqu’aux outils de menuisier et de mécanicien. En vérité, l’aluminium n’est plus un objet de curiosité, mais l’un des métaux les plus utiles dont l’homme dispose. Ne devrait-il pas en remercier le grand Créateur qui l’a placé en quantités si abondantes dans l’écorce terrestre ?