Singapour supprime une minorité chrétienne
QUAND une “nouvelle nation” est constituée, les habitants des autres pays se demandent généralement quelles dispositions le gouvernement prendra pour son peuple. Dans quelle mesure les chefs de cette nouvelle nation se montreront-ils sages et modérés dans l’exercice du pouvoir et de l’autorité ? Tous leurs sujets jouiront-ils de la liberté ? Ou bien les groupes minoritaires seront-ils opprimés ? Les gens se demandent alors : “Est-ce que j’aimerais vivre dans ce pays, le visiter ou y faire du commerce ?”
Au nombre des “nouvelles nations” de la terre figure la République de Singapour, île située à l’extrémité de la péninsule de Malacca. Sa capitale, également appelée Singapour, est l’un des plus grands ports du monde ; il reçoit en effet quelque 40 000 bateaux par an. S’étant séparée de la Fédération de Malaisie, Singapour a acquis son indépendance en 1965. Sa population comprend plusieurs races : les trois-quarts environ de ses habitants sont d’origine chinoise, à peu près un sixième sont malais et le reste est formé de petits groupes d’Indiens, de Pakistanais et d’Européens. Nous soumettons maintenant à votre attention certaines déclarations faites en 1967 par des membres du gouvernement de Singapour. Elles semblent donner l’assurance que le nouveau gouvernement ne constituerait pas une menace pour la liberté de son peuple.
Sous le titre “D’après Lee, le succès (...) c’est lorsqu’une minorité ne se sent pas minoritaire”, The Straits Times du 16 mars 1967 rapportait la déclaration du Premier ministre de Singapour, M. Lee Kuan Yew, qui a dit au Parlement : “Si dans dix ans Singapour en est encore à exhorter à la tolérance religieuse et à vanter les vertus d’une société aux races multiples, c’est que le gouvernement aura failli dans sa tâche.” Le Premier ministre a ajouté qu’“à Singapour, personne ne craignait d’être persécuté ou banni à cause de sa race, de sa religion ou de sa langue”.
Deux mois plus tard (le 24 mai 1967), le même journal portait le titre suivant : “SINGAPOUR, UN EXEMPLE POUR LE MONDE : LIBERTÉ RELIGIEUSE.” Il était dit : “Le Ministre du Travail, M. Jek Yeun Thong, a invité aujourd’hui les bouddhistes et les autres, quelles que soient leur religion ou leur race, à remplir leur rôle pour que Singapour demeure un bastion de la tolérance tant religieuse que raciale, ce qui lui donnera de la force et une raison d’être.” Le journal cite ensuite une autre déclaration de Monsieur Jek, qui a dit : “Notre force réside non pas dans le fait que nous obligions nos citoyens à pratiquer une religion d’État, mais en ceci : nous permettons à chacun de suivre la religion de son choix, afin que tous soient heureux de se dépenser entièrement pour le pays. (...) Personne n’a été et ne sera persécuté ou ne fera l’objet de discrimination à cause de sa foi.”
Ces déclarations étaient en complète harmonie avec les sages principes renfermés dans l’Article 11 de la Constitution fédérale de Singapour, qui garantissent à chacun le droit de professer et de pratiquer sa religion.
De nombreuses personnes ont donc été surprises d’apprendre que moins de cinq ans plus tard le gouvernement de Singapour frappait soudainement d’interdiction une minorité religieuse connue sous le nom de Témoins chrétiens de Jéhovah.
Actuellement, il y a plus de 27 000 congrégations de témoins de Jéhovah réparties dans 207 pays de la terre. À part celles qui se trouvent dans de nombreux pays communistes et dans ceux qui sont dirigés par des dictateurs, ces congrégations peuvent exercer librement leur religion. En conséquence, les questions suivantes se posent : Pourquoi le gouvernement de Singapour a-t-il agi de la sorte ? Les témoins de Jéhovah de ce pays sont-ils différents de leurs frères du monde entier ? Prêchent-ils une autre doctrine, et leur conduite est-elle différente ?
Voici un compte rendu de première main, rédigé par Norman D. Bellotti, qui, en compagnie de sa femme, servait encore récemment en qualité de missionnaire à Singapour.
Expulsés au bout de vingt-trois ans
Son récit commence ainsi :
“Le 12 janvier 1972, le jour se levait sur Singapour, et la matinée s’annonçait radieuse. Cette journée sous les tropiques allait ressembler aux autres. Ma femme Gladys et moi, nous savions que le soleil ne tarderait pas à darder ses rayons et que la température atteindrait probablement 32 degrés. Il est vrai que nous vivions dans ce pays depuis vingt-trois ans. C’est à Singapour que nous avions notre foyer. De toutes les villes orientales, Singapour est l’une des plus belles ; il y a de la verdure et la propreté règne partout. Un visiteur se rend très vite compte que les habitants de cette ville sont des gens aisés.
“Ma femme et moi sommes arrivés à Singapour au début de 1949. Nous y avons été envoyés comme missionnaires, témoins de Jéhovah. Connaissant les excellents enseignements de la Bible et l’espérance merveilleuse qu’elle offre aux personnes au cœur honnête de toutes races, nous avons consacré notre vie à aider nos semblables à connaître la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. Il s’agit de la bonne nouvelle renfermée dans la prière du Seigneur, et selon laquelle le Royaume de Dieu viendra et la volonté de Dieu se fera sur la terre comme au ciel. — Mat. 6:9, 10.
“En ce matin du 12 janvier, Gladys avait pris rendez-vous pour étudier gratuitement la Bible avec plusieurs familles ; aussi ne tarda-t-elle pas à partir pour visiter la première de ces familles. Quant à moi, j’ai commencé ma journée de travail au bureau de la Watch Tower Bible and Tract Society, pour laquelle j’assumais les fonctions de représentant spécial de la filiale de Singapour. Je me préparais à expédier du courrier aux congrégations des témoins de Jéhovah, lorsque la sonnette du téléphone retentit. Un certain M. Huan Tzu Hong désirait me parler. Il se présenta comme un fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur, et me demanda de passer le voir sans tarder à son bureau. L’affaire semblait urgente. Comme je ne disposais pas sur-le-champ d’un moyen de transport, nous avons pris rendez-vous pour 14 heures.
“Environ vingt minutes plus tard, une voiture de la police s’arrêtait devant le bureau de la filiale au 11 Jalan Sejarah et un agent me remettait une lettre de M. Huan, confirmant le rendez-vous que nous venions de fixer par téléphone. J’ai donc signé l’accusé de réception. À n’en pas douter, l’affaire semblait vraiment urgente.
“À 14 heures, j’arrivais au bureau du Ministre de l’Intérieur dans lequel j’étais introduit. M. Woon, un autre fonctionnaire du bureau, me présenta à M. Huan qui me salua. Sans perdre de temps, M. Huan m’apprit la raison de cette convocation. Il avait été chargé par le Ministre de l’Intérieur, le Dr Wong, de me communiquer le texte d’un arrêté, dactylographié sur une feuille de papier qu’il me remit. Il s’agissait d’un arrêté d’expulsion, basé sur l’Article 109 de la loi sur l’expulsion. Cet arrêté était rédigé comme suit :
JE SOUSSIGNÉ, WONG LIN KEN, présentement Ministre et chargé de l’expulsion, donne l’ordre, par la présente, et en accord avec les clauses de l’Article 8 de la loi sur l’expulsion, à NORMAND DAVID BELLOTTI, né le 13 octobre 1919 en AUSTRALIE, de quitter SINGAPOUR avant l’expiration d’un délai de 14 jours, à dater de la mise en service du présent arrêté, et de rester hors de SINGAPOUR.
Et par la présente, j’ordonne que le 19 janvier 1972 ledit NORMAND DAVID BELLOTTI verse en guise de caution la somme de mille dollars, conformément à l’alinéa (5) dudit Article.
Et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par l’alinéa 3 dudit Article, j’ordonne également par la présente que ledit NORMAND DAVID BELLOTTI se présente à l’inspecteur de l’Immigration, avant de quitter Singapour.
Fait en ce douzième jour de janvier 1972.
Signé : Wong Lin Ken
Ministre de l’Intérieur
Singapour.
“J’ai lu cet arrêté, et j’en ai été interloqué. Il ne précisait pas la raison de mon expulsion. J’ai donc demandé à M. Huan ce qui motivait une telle décision. Il m’a dit qu’il ne connaissait pas les détails de l’affaire, et qu’il avait été simplement chargé par le ministre de me communiquer le texte de l’arrêté. Il me dit : ‘Le ministre connaît certainement les raisons de cet arrêté.’ Je lui ai alors demandé à voir le ministre, mais il m’a répondu par la négative. J’ai demandé si je pouvais prendre rendez-vous pour qu’il m’accorde une audience, mais il m’a dit que cela était ‘impossible’. La loi n’exige pas que l’on fournisse une raison à celui qui est frappé d’expulsion. M. Huan était pressé de me faire signer la copie de l’arrêté, car sa tâche serait alors terminée.
“Mais je ne voulais pas en rester là ; aussi lui ai-je fait remarquer qu’un arrêté d’expulsion hors d’un pays entache la réputation d’un homme, principalement lorsqu’il s’agit d’un endroit aussi connu que Singapour. Étais-je accusé d’avoir des activités subversives ? Me prenait-on pour un communiste ? En général, on expulse les individus nuisibles ; je serais donc heureux de savoir pour quelle raison on m’ordonnait de partir.
“M. Huan ne pouvait me renseigner. Aussi lui ai-je dit : ‘Ainsi, voilà vingt-trois ans que je vis dans ce pays, et je ne connais personne qui ait formulé une plainte contre moi. Aucun membre du gouvernement n’est jamais venu me parler au sujet de mon œuvre d’éducation biblique, aucun d’eux n’a eu le courage de m’interroger ou de me dire ce qu’on me reprochait, à tort ou à raison. Au lieu de cela on me remet un arrêté d’expulsion et on refuse de m’en donner la raison, ce qui me permettrait de fournir quelques explications.’ M. Huan me répondit qu’il ne pouvait pas m’en dire plus et qu’‘il ne faisait que son devoir’.
“J’ai donc signé ce papier attestant que je l’avais reçu. Après cela, M. Huan m’a lu la clause qui stipule les sanctions qu’encourent ceux qui refusent d’obtempérer à un arrêté d’expulsion.
“Je lui ai dit que j’avais toujours respecté la loi durant ces vingt-trois dernières années, et que je continuerais à obéir. Le gouvernement n’avait rien à redouter d’une personne qui aime et craint le Dieu de la Bible. Au cours des années, j’avais eu le privilège de rencontrer un grand nombre de membres du gouvernement et de leur parler des promesses de la Bible. Chaque année, des assemblées avaient été organisées et nous avions utilisé, la plupart du temps, des salles appartenant à l’État. Nous nous sommes souvent réunis dans la Salle des Conférences de Singapour, au Centre culturel, dans la salle Victoria Memorial, et dans un certain nombre de salles municipales et de salles des fêtes. Mes rapports avec les responsables de ces bâtiments ont toujours été cordiaux. Ils n’ont jamais eu à se plaindre de nous et ne nous ont pas refusé d’utiliser ces salles. En 1963, la Société Watch Tower a tenu une assemblée internationale au théâtre Victoria, à l’occasion de laquelle des visiteurs sont venus de toutes les parties du monde. Afin d’organiser ces assemblées, j’ai demandé et obtenu les autorisations nécessaires auprès des services de police, qui m’ont toujours traité avec respect. D’ailleurs, beaucoup d’officiers de police croient également en la Bible. J’étais donc vraiment très surpris et frappé de recevoir un arrêté d’expulsion.
“M. Huan demandait qu’une somme de 1 000 dollars lui soit remise avant le 19 janvier, en guise de caution garantissant que je quitterais le pays à la date fixée. Avant de sortir de son bureau, je lui ai dit que j’étais surpris que le gouvernement prenne une telle mesure, sans fournir de raison, contre un homme qui suit la Bible. Les dernières paroles de M. Huan ont été les suivantes : ‘Lorsque vous reviendrez le 19 pour verser les 1 000 dollars, il est possible que cette affaire soit un peu plus claire.’
“En rentrant, j’ai fait part de la nouvelle à ma femme. Ensemble, nous avons essayé de prendre quelques dispositions. Où irions-nous ? Qu’emporterions-nous et que laisserions-nous ? Pourrions-nous saluer tous nos bons amis ? Nous étions là depuis vingt-trois ans, aussi avions-nous des amis un peu partout dans Singapour et également en Malaisie. Mais que signifiait cette phrase : ‘La situation sera un peu plus claire le 19 janvier ?’
“Nous avons donc commencé à préparer nos bagages ; inutile de vous dire que nous avions le cœur lourd. Des amis et des voisins venaient nous voir pour connaître la raison de ce départ. ‘Pourquoi ?’ ‘Pourquoi ?’ ‘Pourquoi ?’ Il était impossible de répondre à cette question. Le Ministre de l’Intérieur, le Dr Wong Lin Ken, n’avait fourni aucune raison dans son arrêté d’expulsion. Il ne me connaissait pas, et il n’était pas disposé à m’accorder une audience comme je le lui avais demandé. L’ordre était : ‘Partez et ne revenez pas !’ Mais il n’avait fourni aucune raison ni aucune explication. Deux jours plus tard, le matin du 14 janvier, nous avions pratiquement pris toutes les dispositions pour notre départ. Toutefois, la journée n’était pas terminée qu’une autre surprise nous attendait. Cela allait être un jour sombre pour Singapour.
Le lieu de culte est fermé
“Juste avant midi, des agents de police se sont rendus à la Salle du Royaume des témoins de Jéhovah située au 8 Exeter Road, en face d’un très grand marché, et ont affiché sur la porte un ordre de dissolution.
“Ce même jour, le 14 janvier 1972, le Ministre de l’Intérieur, le Dr Wong Lin Ken, avait dissous la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour. Cette congrégation avait été enregistrée sous le régime de la loi sur les associations, quelque dix ans auparavant, et la Salle du Royaume était son siège principal officiel. Durant toutes ces années, des classes bibliques y avaient été régulièrement tenues, en anglais et en chinois.
“Ces réunions étaient-elles secrètes ? Certainement pas, toutes les réunions étaient ouvertes au public, et ces dernières années, la salle était toujours pleine le dimanche. Chaque année, une réunion générale y était tenue, conformément à la loi, et le procès-verbal de délibération ainsi que le rapport financier étaient envoyés au bureau d’enregistrement des associations sur les formules prévues à cet effet. Chaque administrateur de cette congrégation est un ministre religieux ; aucun d’eux n’est étranger. Ce sont des citoyens respectueux des lois, des hommes qui fournissent une honnête journée de travail, la plupart d’entre eux travaillant dans les bureaux du gouvernement.
“Cette congrégation de témoins de Jéhovah, à laquelle ma femme et moi avons été rattachés pendant vingt-trois ans, tenait des réunions bien ordonnées, et ne dérangeait pas les voisins par des cris ou une musique trop bruyante. Ils n’avaient pas adopté ce que certains appellent la ‘culture occidentale’. La Bible, qui leur sert de guide, est elle-même un livre oriental, écrit et préservé par des hommes du Proche-Orient. Aucun des membres de la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour n’a jamais été arrêté ou accusé d’avoir commis le moindre délit. La congrégation a accompli publiquement son œuvre de prédication, et personne ne s’en est jamais plaint. Des milliers de personnes prennent plaisir à lire régulièrement et dans leur langue les périodiques La Tour de Garde et Réveillez-vous !
“Et maintenant, le gouvernement de Singapour a dissous cette congrégation chrétienne. Désormais, ces hommes, ces femmes et ces enfants au cœur honnête ne pourront plus se réunir dans la Salle du Royaume pour pratiquer leur culte chrétien. Celui-ci a été déclaré illégal. Pour eux, il n’y a plus de liberté de religion.
“Les représentants de la loi se préparaient maintenant à pénétrer par effraction dans la Salle du Royaume, et à voler ce qui ne leur appartenait pas. S’ils avaient demandé la clé de la salle au président, au vice-président ou au secrétaire-trésorier de cette congrégation dûment enregistrée, ils la leur auraient donnée. Un coup de téléphone aurait suffi. Mais ils ont préféré avoir recours à la force et à la violence pour pénétrer à l’intérieur par la porte d’entrée. Ils ont emporté toutes les choses de valeur, et particulièrement les bibles, les manuels bibliques et les livres de la bibliothèque.
“Le gardien, qui habite à l’étage, était sorti. Ils ont pénétré dans son appartement et ont volé ses biens personnels, emportant même son exemplaire de la Sainte Bible. La salle était maintenant fermée. Lorsque le gardien est revenu dans l’après-midi il ne pouvait même plus entrer chez lui. Un citoyen de Singapour était chassé de chez lui avec, pour tout bagage, les vêtements qu’il portait. La porte d’entrée étant fermée, il était dans l’impossibilité de prendre une douche et de se changer ; aussi a-t-il dû emprunter une chemise et un pantalon de rechange.
“Les autorités se sont également saisies du compte bancaire de la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour. Cet argent venait de contributions volontaires faites par des personnes au cœur honnête qui désiraient étendre l’œuvre d’éducation biblique dans Singapour. Il ne provenait donc pas de collectes ou de quêtes, et la congrégation ne déployait aucune activité commerciale.
“Le soir du vendredi 14 janvier, une réunion biblique était prévue pour 19 heures dans la Salle du Royaume. Se préparant en vue de cette réunion, nombre de témoins et amis n’avaient pas entendu à la radio l’annonce de la décision prise par le gouvernement. En arrivant à la Salle du Royaume, ils ont été stupéfaits de voir un gros cadenas sur la porte. Parmi eux, se trouvaient le président et le vice-président de la congrégation. Personne ne leur avait appris l’interdiction. Aucun membre du gouvernement ne s’était montré assez correct et déférent pour informer ses concitoyens de l’action entreprise par le gouvernement contre leur religion, contre la liberté du culte et l’étude de la Bible. Déçus, ces hommes et leur famille sont rentrés chez eux.
Les publications bibliques sont interdites
“En ce même jour, un autre soufflet allait nous être appliqué. Le Ministre des Affaires culturelles, M. Jek Yeun Thong, publia un décret contre les publications imprimées par la Watch Tower Bible and Tract Society. Publié dans le Journal officiel du 14 janvier 1972, ce décret est ainsi conçu :
En vertu de pouvoirs conférés par l’alinéa de l’Article 3 de la loi sur les publications interdites, le Ministre des Affaires culturelles interdit, par le présent décret, l’importation, la vente et la diffusion de toutes les publications éditées ou imprimées par la Watch Tower Bible and Tract Society.
“Il y a cinq ans, Monsieur Jek était Ministre du Travail. C’est lui qui avait encouragé tous ses concitoyens à faire en sorte que Singapour demeure le ‘bastion de la tolérance tant religieuse que raciale’. Il avait promis à cette époque-là que personne ‘n’a été et ne sera persécuté ou ne fera l’objet de discriminations à cause de sa foi’. Désormais, le petit groupe de témoins de Jéhovah ne jouirait plus de la liberté religieuse, et M. Jek était impliqué dans cette affaire.
“Finalement, le 14 janvier au soir, un communiqué a été publié pour justifier les mesures prises par le gouvernement contre cette minorité chrétienne. La radio et la télévision ont annoncé la dissolution de la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour et l’interdiction des publications de la Watch Tower, et ont publié la déclaration faite à la presse par le Ministère de l’Intérieur. Cette déclaration était ainsi conçue :
Aujourd’hui, le gouvernement a dissous la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour parce que sa présence est préjudiciable à la sécurité publique et au bon ordre à Singapour. La doctrine de cette secte et la nature de sa propagande sont fondées sur les croyances selon lesquelles ‘Satan’ et son administration seraient à l’origine de tout gouvernement et religion. La venue imminente d’‘Harmaguédon’ aura pour conséquence la destruction de tous les hommes, à l’exception des témoins de Jéhovah qui hériteront la terre. En vertu de cette doctrine, la secte recommande à ses membres de rester neutres en temps de guerre. Ceci a amené un certain nombre de témoins de Jéhovah employés au service de la nation à cesser d’accomplir toute tâche en rapport avec l’armée. Quelques-uns ont même refusé de porter l’uniforme.
La ‘maison mère’ de la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour est la Watch Tower Bible and Tract Society, Association déclarée aux États-Unis d’Amérique. Celle-ci a envoyé un missionnaire australien (M. N. D. Bellotti) à Singapour, dont la tâche consiste à s’occuper de l’importation des publications de cette société et à les distribuer à la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour et à d’autres personnes. La congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour ayant été dissoute, ces publications ne seront plus diffusées et la présence de ce missionnaire à Singapour n’est plus nécessaire. En conséquence, le gouvernement a interdit les publications de la Watch Tower Bible and Tract Society et a prié M. Bellotti de quitter le pays.
Le mode de vie biblique est-il préjudiciable ou bénéfique ?
“Le lendemain, le 15 janvier, les journaux annonçaient l’interdiction. Les journalistes, les photographes de la presse locale et les représentants de la presse étrangère ont assiégé les bureaux de la filiale pour recevoir de plus amples informations ; selon eux, l’affaire n’était pas claire. Je ne pouvais rien ajouter à la déclaration faite par le gouvernement à la presse. J’étais expulsé parce que j’importais des bibles et des publications bibliques dans la République de Singapour, comme je l’avais fait au cours de ces vingt-trois dernières années. Les administrateurs de la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour n’avaient été informés de quoi que ce soit. Apparemment, le ‘crime’ qu’ils avaient commis était de lire la Bible et des publications bibliques.
“Notez que, selon la déclaration faite par le gouvernement à la presse, la présence de la congrégation des témoins de Jéhovah de Singapour ‘est préjudiciable à la sécurité publique et au bon ordre à Singapour’. Quelle preuve, quels faits viennent appuyer cette déclaration ? Le bon ordre d’une nation, grande ou petite, sera-t-il troublé parce qu’une minorité croit que Dieu va bientôt mettre un terme à la méchanceté, qu’il va restaurer le paradis terrestre et que les ‘humbles hériteront la terre’ ? Certainement pas ! Dans aucun pays du monde, vous ne trouverez la moindre preuve attestant que les témoins de Jéhovah constituent une menace pour le bon ordre. À l’exemple de l’apôtre Paul, ils ont ‘renoncé aux choses secrètes dont on a honte, ne marchant pas avec l’astuce, ne falsifiant pas non plus la parole de Dieu, mais, en rendant la vérité manifeste, [ils se recommandent eux-mêmes] à toute conscience d’homme au regard de Dieu’. (II Cor 4:2.) Ils s’efforcent sincèrement de suivre le conseil de l’apôtre Pierre qui a dit : ‘Maintenez l’excellence de votre conduite au milieu des nations, afin que, sur la chose même ou ils parlent contre vous comme malfaiteurs, ils glorifient Dieu au jour de son inspection, par suite de vos excellentes œuvres dont ils sont témoins oculaires.’ — I Pierre 2:12.
“Pendant vingt-trois ans ma femme et moi avions utilisé les publications de la Watch Tower Bible and Tract Society pour effectuer notre œuvre d’éducation biblique à Singapour. À l’exemple de Jésus et de l’apôtre Paul, nous pouvions prétendre que rien n’avait été fait ‘en secret’, ‘dans un coin’, mais que nous avions parlé ouvertement, ‘publiquement’. (Jean 18:20 ; Actes 26:26.) Nous avions diffusé la Bible en anglais, en chinois et en tamoul, et nous nous étions offerts gratuitement à aider les personnes au cœur sincère pour qu’elles acquièrent une meilleure intelligence des Saintes Écritures. Au sein d’un monde qui s’est éloigné et s’éloigne de plus en plus des règles élevées de conduite renfermées dans la Bible, les témoins de Jéhovah ont remarqué qu’un grand nombre de personnes désirent connaître ce que Dieu dit dans sa Parole à ce sujet. Nous n’obligions personne à adopter une nouvelle religion, mais nous nous efforcions d’aider ceux qui le désiraient à mieux connaître la Bible et l’espérance qu’elle offre pour l’avenir.
“Loin de favoriser et de fomenter le désordre et l’anarchie, les témoins de Jéhovah enseignent la soumission aux autorités comme étant une chose juste. Ils reconnaissent que Dieu permet aux gouvernements humains d’exercer leur autorité sur le présent système de choses et que ‘celui donc qui s’oppose à l’autorité [gouvernementale] a pris position contre l’arrangement de Dieu’. (Rom. 13:1, 2.) Ils croient, bien entendu, à l’enseignement biblique selon lequel Dieu va bientôt remplacer toutes les formes de gouvernement humain par le Royaume parfait de son propre Fils, Jésus-Christ, qui exercera son pouvoir des cieux (Dan. 2:44). Toutefois, les témoins de Jéhovah savent que c’est Jéhovah qui opérera ce changement ; aussi n’essaient-ils pas de renverser les choses eux-mêmes. Ils veillent donc à ne pas entraver les activités des gouvernements existants.
“Leur neutralité vis-à-vis des conflits mondiaux et leur refus de participer aux activités militaires ne sont pas basés sur une propagande ou des dogmes sectaires, mais sur les enseignements précis de la Bible. C’est Jésus-Christ qui a dit à ses disciples : ‘Si vous faisiez partie du monde, le monde serait épris de ce qui serait sien. Mais parce que vous ne faites pas partie du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait. (...) Un esclave n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ; s’ils ont observé ma parole, ils observeront la vôtre aussi.’ — Jean 15:19, 20.
“Les témoins de Jéhovah se conforment aux paroles écrites sur un mur de la place des Nations unies, paroles que l’on peut trouver dans le livre biblique d’Ésaïe (2:4, AC) : ‘Ils forgeront leurs épées en socs de charrues et leurs lances en faucilles. Une nation ne s’élèvera plus contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre.’ Singapour est une nation membre de l’Organisation des Nations unies. Certes, les nations ne se conforment pas à ces paroles aujourd’hui ; elles continuent de stocker des armes et d’apprendre la guerre. Mais est-il juste de condamner comme étant ‘préjudiciables à la sécurité publique et au bon ordre’ ceux qui vivent en accord avec ces mots, oui, qui sont même prêts à endurer la persécution plutôt que de transgresser ce principe divin ? Dans un monde caractérisé par la violence, comment peut-on dire que de telles personnes donnent le mauvais exemple en suivant un mode de vie paisible et pacifique ? La terre entière ne serait-elle pas un endroit plus agréable, plus paisible et plus sûr si tous les hommes, ou au moins la majorité d’entre eux, imitaient ces chrétiens sincères ?
“Au cours des années que j’ai passées à Singapour, j’ai connu plusieurs émeutes dans lesquelles de nombreuses personnes ont perdu la vie ; toutefois, aucun témoin de Jéhovah n’a jamais été impliqué dans de telles manifestations contre l’ordre établi. Aucune des publications de la Société Watch Tower n’a jamais encouragé la violence.
“D’autre part, le fait que les témoins de Jéhovah enseignent que selon Révélation 16, versets 14 à 16, la grande guerre de Dieu, appelée ‘Harmaguédon’, est imminente est-il préjudiciable au pays ? Une personne qui avertit son voisin d’un désastre proche et qui lui indique un lieu de sécurité est généralement considérée comme un ami. C’est exactement ce que font les témoins de Jéhovah par amitié pour les habitants de tous les pays. Évidemment, ils ne peuvent que donner l’alarme ; les gens sont libres de prendre ou non l’avertissement au sérieux.
“Le 18 janvier, je suis retourné au Ministère de l’Intérieur pour remettre la somme de 1 000 dollars. Les paroles de M. Huan selon lesquelles l’affaire serait plus claire le 19 s’étaient déjà réalisées. Une petite communauté de chrétiens était privée de la liberté de se réunir pour pratiquer son culte. Son lieu de réunion avait été pillé et la propriété saisie mise sous scellés ; son compte en banque était bloqué.
“Lorsque j’ai remis l’argent à M. Huan, il s’est excusé, disant qu’il m’avait mal informé. Il suffisait, en réalité, qu’un habitant de Singapour vienne et signe un cautionnement, attestant que je quitterais le pays à la date fixée. Dans le cas où je n’obtempérerais pas, cet homme perdrait alors son argent et je pourrais être arrêté et traduit en justice. Ayant beaucoup de bons amis à Singapour, il ne m’a pas été difficile de trouver quelqu’un pour signer le cautionnement.
Très tristes, les missionnaires quittent Singapour
“Le temps passait très vite. Les adieux ont été déchirants, mais chacun a gardé une foi ferme en Jéhovah, le vrai Dieu. La vérité n’est pas simplement une affaire de ‘propagande’, mais une croyance qui réconforte et affermit l’esprit et le cœur. Elle donne aux personnes au cœur honnête un but dans la vie. Elle en fait des hommes et des femmes meilleurs.
“A M. Huan, attaché au Ministère de l’Intérieur, et au représentant de l’Inspecteur de l’Immigration, M. Tan Han Tuan, qui a gardé mon passeport jusqu’à l’heure du départ, j’ai dit que je n’éprouvais aucun sentiment vindicatif à l’égard du gouvernement de Singapour. J’étais venu dans ce pays comme un hôte respectueux, et c’est en hôte respectueux que je le quitterais. Mon séjour à Singapour m’avait apporté beaucoup de joies, mais j’étais peiné de voir qu’une chose terrible s’était produite : les citoyens de Singapour étaient privés de la liberté du culte, on s’efforçait de les empêcher de suivre la voix de leur conscience et d’exprimer leur foi. Il est regrettable que l’on se soit montré aussi dur envers un groupe minoritaire composé de chrétiens respectueux des lois, dont le seul désir est de vivre en paix et en harmonie avec les enseignements de la Bible. D’autres pays progressistes ont loué l’excellente conduite des témoins de Jéhovah. Il est vraiment regrettable que ces chrétiens ne puissent se réunir pour pratiquer leur culte à Singapour, qui est un pays membre du Commonwealth, et que les différentes traductions de la Bible employées par ces témoins et imprimées sur les presses de la Société Watch Tower aient été interdites par le gouvernement, ainsi que les publications utilisées pour annoncer le Royaume de Dieu.
“Le 25 janvier au soir, ma femme et moi avons quitté la République de Singapour. Nous n’oublierons jamais les amis chers de la congrégation de Singapour que nous avons laissés.”
Que pouvez-vous faire pour aider ?
Nous faisons mention dans nos prières de ce petit groupe de chrétiens de Singapour. Vous aussi, vous désirez peut-être prier Jéhovah Dieu pour lui demander de protéger ceux qu’il aime et de faire prospérer la proclamation de la parole de vérité, même dans de grandes difficultés (II Cor. 1:8-11 ; II Thess. 3:1, 2). C’est ce qui ressort des paroles de l’apôtre Paul qui, bien qu’emprisonné à cause de la prédication de la bonne nouvelle du Royaume de Dieu, a déclaré : “Néanmoins, la parole de Dieu n’est pas liée.” — II Tim. 2:9.
Vous désirerez peut-être aussi écrire au gouvernement de la République de Singapour, pour le prier de bien vouloir réexaminer cette affaire avec justice et discernement. La “nouvelle nation” de Singapour n’a absolument rien à craindre des gens qui sont attachés aux principes élevés relatifs à la conduite chrétienne, renfermés dans la Bible. Le fait qu’ils tiennent à rester neutres dans les conflits mondiaux ne constitue certainement pas une raison pour chasser des hommes, des femmes et des enfants chrétiens de leur lieu de culte.
Puisse le titre suivant de l’article paru en 1967 “SINGAPOUR, UN EXEMPLE POUR LE MONDE : LIBERTÉ RELIGIEUSE” se révéler exact en 1972. Oui, puissent les membres du gouvernement de la République de Singapour donner un excellent exemple et prouver qu’ils sont des hommes dignes et sages dans leurs jugements, en restituant aux témoins chrétiens de Jéhovah, qui constituent une minorité, leur liberté de religion. Ci-dessous figurent les noms et adresses des membres du gouvernement de la République de Singapour, à qui vous désirerez peut-être écrire :
His Excellency Dr. B. A. Sheares
President of the Republic of Singapore
The Istana
Singapore 9
Republic of Singapore
Mr. Lee Kuan Yew
Prime Minister of the Republic of Singapore
Prime Minister’s Office
City Hall
Singapore 6
Republic of Singapore
Dr. Goh Keng Swee
Minister of Defence
Ministry of Defence
Pearl’s Hill
Singapore 2
Republic of Singapore
Dr. Wong Lin Ken
Minister for Home Affairs
Pearl’s Hill
Singapore 2
Republic of Singapore
Mr. Jek Yeun Thong
Minister for Culture
Ministry of Culture
City Hall
Singapore 6
Republic of Singapore
Mr. S. Rajaratnam
Minister for Foreign Affairs
Ministry of Foreign Affairs
City Hall
Singapore 6
Republic of Singapore
Mr. E. W. Barker
Minister of Law and National Development
National Development Building
Maxwell Road
Singapore 2
Republic of Singapore
Mr. Michael Chai
Acting Controller of Immigration
Immigration Department
Empress Place
Singapore 6
Republic of Singapore