Des amaigrissements cauchemardesques
De notre correspondant en Grande-Bretagne
“JE SUIS une mère et je ferais n’importe quoi pour ma fille. Son père lui aurait acheté tout ce qu’elle aurait eu envie de manger. Mais elle ne demandait rien. Nous la voyions devenir de plus en plus maigre. C’était terrifiant. J’étais la seule de la famille à ne pas pleurer. J’essayais, mais mon cœur était lourd comme du plomb.”
Qu’est-ce qui avait été à l’origine d’un problème semblable dans cette famille qui autrement aurait été heureuse et unie? Une étrange maladie contre laquelle dut lutter également le mari de Jeanne, une jeune mariée. Il se souvient de façon précise de cette époque-là:
“J’essayais de raisonner avec ma femme jusqu’à l’extinction de voix, mais je n’arrivais à rien. Elle avait pris sa décision, un point c’est tout. Je me rendis compte que la seule chose que je pouvais faire, c’était de lui expliquer en termes clairs le mal qu’elle faisait, non seulement à elle-même, mais aussi à son bébé, en refusant de manger. Vous comprenez, ma femme était enceinte et j’étais très inquiet.”
Par bonheur, ces deux cas ont connu un dénouement heureux. La première jeune fille citée s’est remise de sa maladie, mais cela a demandé quatre années. Quant à la future mère, elle a donné naissance à un garçon en bonne santé et, maintenant, elle est elle-même en train de se rétablir. Malheureusement, cela ne se termine pas toujours aussi bien. En Grande-Bretagne, les statistiques montrent que quinze pour cent des personnes souffrant d’anorexie mentale en meurent. Quant à celles qui survivent, seulement la moitié d’entre elles sont complètement guéries.
L’anorexie mentale
Qu’est-ce donc que l’anorexie mentale? Comment contracte-t-on cette maladie et pourquoi est-elle si difficile à soigner?
La perte de l’appétit n’a rien d’inhabituel. Nous connaissons tous des jours durant lesquels nous n’avons pas envie de manger. C’est ce que l’on appelle “l’anorexie”, mot tiré du grec qui signifie “absence d’appétit”. Cette cassure dans la routine quotidienne est assez courante, mais tout rentre rapidement dans l’ordre lorsque notre corps prend du repos et que nous retrouvons notre appétit.
Cependant, c’est le contraire qui arrive aux personnes atteintes d’anorexie mentale. L’encyclopédie Universalis définit cette maladie comme une “perte de l’appétit” qui peut se présenter sous différentes formes, “de la simple inappétence ou du dégoût pour certains aliments au refus total de nourriture”, et qui peut être “consécutive à une émotion”. Il n’est donc pas étonnant que l’anorexie puisse mener si facilement à la mort. Sur le plan médical, l’anorexie mentale est considérée comme une maladie psychosomatique, c’est-à-dire qu’elle atteint aussi bien l’esprit que le corps. Mais, pour de nombreux médecins, il s’agit de la définition simpliste d’une maladie complexe que l’on ne connaît pas encore parfaitement. Elle engendre de grandes souffrances physiques ainsi que bien du chagrin pour tous ceux qui la contractent.
“Ça m’est arrivé, à moi!”
“Ne dites pas: ‘Cela ne m’arrivera jamais.’ C’est ce que j’avais toujours cru. Mais, ça m’est arrivé, à moi!” Ce conseil plein de franchise vient de Patricia, qui pesait normalement 52 kilos et dont le poids est tombé d’une manière spectaculaire à 34 kilos. Elle poursuit son récit en ces termes: “J’avais toujours été une fille raisonnable et calme. J’aimais cuisiner et j’appréciais la nourriture. Mais quand je suis devenue anorexique, mon caractère changea entièrement. On ne pouvait pas me dire quoi que ce soit sans que je crie des injures. Tout ce que j’ai traversé à cette époque-là a été horrible et humiliant. Je restais couchée sur mon lit pour pleurer des heures de suite. J’étais tellement triste et malheureuse!”
Quand elle regarde en arrière, maintenant qu’elle est une jeune femme aux approches de la trentaine, rétablie et en pleine santé, Patricia fait cette remarque: “Comment tout cela a-t-il commencé? Je n’en sais toujours vraiment rien. N’importe quelle raison parmi une multitude de causes aurait pu être à l’origine de cette maladie.”
L’incapacité à déterminer la cause exacte de l’apparition de l’anorexie mentale n’est pas un phénomène rare, mais il existe des facteurs communs que l’on retrouve dans les différents cas étudiés. Cela vaut la peine de les examiner.
Du danger des régimes
Bien que l’anorexie mentale puisse frapper les garçons, en général ce sont les adolescentes qui en souffrent. Le facteur principal est, dans de nombreux cas, le régime qui échappe à tout contrôle. Il n’est pas dangereux de sauter un repas quelconque, mais un régime sévère ou une alimentation irrégulière, c’est autre chose.
Marie, une adolescente, avoua ceci: “Je voulais perdre quelques kilos. J’ai donc décidé de commencer un régime. Pour perdre un peu plus de poids, j’ai supprimé aussi certains repas. Mes amis me disaient: ‘Oh! que tu es maigre, tu perds du poids.’ Et pourtant, chaque fois que je me regardais dans la glace, je me voyais exactement comme j’avais toujours été. Chose bizarre, je ne remarquais absolument aucune différence et je me trouvais toujours beaucoup trop grosse. Mais il n’a pas fallu longtemps pour que je tombe vraiment malade.” Quelle est l’opinion de sa mère? “Si mon autre fille venait me demander de faire un régime, je ne prendrais pas la chose aussi à la légère. J’examinerais mieux la question et je lui dirais: ‘On va s’attaquer à ce problème ensemble.’ De cette manière, je veillerais à ce que, tout en suivant son régime, elle reçoive une alimentation équilibrée. L’ennui, c’est que, lorsque Marie souffrit d’anorexie mentale, il était impossible de raisonner avec elle.” Alors, qu’est-ce qui se détraque dans l’organisme?
Pour des raisons que l’on ne comprend pas encore très bien, lorsque l’on atteint un certain niveau de sous-alimentation, il peut se produire des choses bizarres. S’il s’agit d’une jeune fille, elle n’aura plus ses règles. Un peu plus tard, une pilosité excessive peut apparaître sur ses bras et ses jambes. La nourriture la dégoûtera et elle désirera intensément rester mince. Au départ, elle jouira d’une vitalité artificielle. De plus, ainsi que la mère de Marie le découvrit un peu tard, aucun raisonnement ne parvient à convaincre la patiente (c’est ce qu’elle est alors devenue) qu’elle agit d’une manière anormale ou que sa santé, et peut-être même sa vie, est en danger.
Si quelqu’un qui vous est cher souffrait d’anorexie mentale, vous en rendriez-vous compte? Le signe à guetter le plus manifeste, c’est une importante perte de poids, mais, chose étonnante, il n’est pas toujours facile à déceler. Pourquoi? Parce que les anorexiques vont souvent très loin pour cacher leur véritable état à la fois à eux-mêmes et à ceux qui essaient de les aider. En portant de nombreuses couches de vêtements ou en mettant des poids dans leurs poches, ils se trompent eux-mêmes d’une manière que leurs amis ont bien du mal à comprendre. Certains vont jusqu’à se faire vomir ou à se purger pour éliminer les aliments de leur organisme, mais, là encore, sans que ceux qui vivent avec eux s’en rendent compte.
Beaucoup de gens croient que cette maladie n’existe que dans le monde occidental, mais ce n’est pas la réalité. Le docteur Daniel Kabithe, du Kenya, fit ce commentaire: “Les Africains sont devenus les meilleurs imitateurs des autres cultures. Si maigrir fait tellement fureur en Occident, alors les femmes africaines sont menacées, elles aussi, par l’amaigrissement obligatoire.” Résumant les découvertes qu’il a faites en étudiant le sujet, le docteur Kabithe donna ces explications supplémentaires: “On cultive de propos délibéré l’anorexie et, si la jeune fille refuse de manger, c’est pour atteindre un but précis.” Cette maladie est souvent plus qu’un simple problème de régime. Les émotions et le stress jouent également un rôle dans son déclenchement.
Pourquoi frappe-t-elle surtout les jeunes?
L’adolescence peut être une époque particulièrement difficile, surtout de nos jours alors que les jeunes rencontrent des problèmes et des frustrations inhabituels. Quel rapport cela a-t-il avec l’anorexie mentale? Un médecin anglais, le docteur Michael Spira, parla des causes de l’anorexie: “Il semble que l’explication la plus vraisemblable est que la jeune fille a une peur viscérale de grandir. En perdant du poids, elle essaie donc d’empêcher les changements que la puberté apporte dans son physique et les caractéristiques sexuelles qu’elle associe avec l’âge adulte dont elle craint d’accepter les responsabilités.”
Pour comprendre la gravité de cette maladie, les relations du patient avec la vie ainsi qu’avec son entourage familial immédiat sont de première importance. Soulignant ce point, le docteur Joan Gomez, psychiatre consultant, fit cette observation: “Les changements hormonaux sont tout à fait secondaires et ne causent pas l’anorexie mentale. Son origine réside dans la famille elle-même.”
Le psychiatre R. Palmer adhère à cette opinion lorsqu’il écrit: “Ces jeunes qui souffrent d’anorexie mentale en perdant du poids ont eu des difficultés avec leur vie, leurs sentiments ou plus particulièrement avec leur adolescence. Ces problèmes peuvent être très variés.” Voyons-en quelques-uns grâce au témoignage de deux patients.
“J’ai commencé à être malade, il y a quatre ans de cela. Les propriétaires de la maison que ma famille louait rentrèrent de l’étranger, ce qui veut dire que nous nous sommes retrouvés sans foyer pendant un certain temps. Mes parents, mon frère et ma sœur ont été logés dans des endroits différents et nous nous voyions peu.
“Je ne me rendais pas compte à quel point j’étais inquiète à ce sujet. Ce n’est que maintenant que j’y repense que j’en prends conscience. J’étais très anxieuse, je ne mangeais plus et j’ai fini par me retrouver à l’hôpital. Alors, quand j’ai voulu manger, je n’ai vraiment pas pu. On m’a nourrie de force, mais l’arthrite dont je souffre maintenant est, d’après ce que disent les médecins, la conséquence directe de l’anorexie mentale engendrée par le stress.”
“‘Ce que tu deviens grosse!’ ‘Dis donc, tu n’aurais pas pris du poids?’ Commentaires véridiques dits plutôt pour plaisanter, mais qui frappaient un point très sensible à mes yeux.
“Quand je quittai l’école à seize ans, il me semblait que les filles les mieux habillées, celles qui réussissaient le mieux, les plus heureuses étaient minces. Pour moi qui était timide et réservée, il y avait un but à atteindre, maigrir. Mais, bientôt, j’allais bien au delà de mon régime initial, je sautais des repas et supprimais des aliments pour perdre plus de poids. Je souffrais de tiraillements d’estomac atroces; cependant, le fait que j’étais capable de ne pas trop en tenir compte, puis enfin de les vaincre, m’apportait une grande satisfaction.
“Petit à petit, je devins plus faible, jusqu’à avoir les plus grandes difficultés à monter un escalier. Rien que soulever un oreiller me demandait un grand effort. L’anorexie mentale était devenue une réalité. Il fallut cinq longues et difficiles années pour me guérir.
“Bien sûr, il y avait aussi des problèmes à la maison pendant mon adolescence, mais je sais maintenant que bien des choses vinrent de ma réaction aux remarques que l’on faisait à propos de mon poids. Aussi, permettez-moi de vous dire de ne jamais, jamais faire de commentaires personnels sur le poids, les traits ou la taille d’un adolescent. Vous pourriez faire beaucoup plus de mal que vous ne l’imaginez.”
Un chagrin d’amour, un complexe d’infériorité, des pressions exigeant de réussir des examens afin d’‘arriver’ dans la vie, des efforts pour vivre selon les critères fixés par les parents ou d’autres personnes faisant autorité, tout cela et bien d’autres choses encore peuvent conduire un jeune peu sûr de lui sur le chemin de l’anorexie mentale. Bien que toutes les thérapeutiques puissent avoir leur valeur pour traiter les symptômes (et il est conseillé de demander dès que possible de l’aide sur le plan médical), c’est du malade lui-même que dépend la guérison. Comment faire? Appliquez les suggestions suivantes:
[Entrefilet, page 25]
En Grande-Bretagne, les statistiques montrent que quinze pour cent des personnes souffrant d’anorexie mentale en meurent.
[Entrefilet, page 26]
Bien que toutes les thérapeutiques puissent avoir leur valeur pour traiter les symptômes, c’est du malade lui-même que dépend la guérison.
[Encadré, page 27]
Quelques conseils
Ne vous isolez pas. Il est si facile de se replier sur soi-même. On perd tellement aisément son chemin sur la voie qui mène au raisonnement adulte et mûr. C’est un homme très sage qui a déclaré: “Celui qui marche avec les sages deviendra sage.” (Proverbes 13:20). Faites-vous des amis. Prenez conscience de la valeur d’un confident plein de sagesse.
Ne pensez pas que vous devez vous conformer aux lubies et aux modes. Les chrétiens ne font pas partie du monde. Si vous vous trouvez seul à cause d’une question de principe, considérez cela comme un signe de véritable force. — Jean 17:16, 17.
Trouvez quelque chose de constructif à faire, et de préférence une occupation qui soit utile aux autres. On rapporte que Jésus a déclaré: “Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.” Aider les autres vous empêchera de penser toujours à vous-même. — Actes 20:35.
Reconnaissez que votre Créateur, Jéhovah Dieu, prend soin de vous. Le fait de vous approcher de lui par la prière vous donnera “la puissance qui excède la puissance normale” quand vous en avez besoin. — II Corinthiens 4:7.
Sachez que des personnes atteintes d’anorexie mentale ont été guéries et que vous pouvez l’être vous aussi. Mais cela dépend beaucoup de votre état d’esprit. Il vous faut être positif.